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Myrddin n’avait sellé que son propre cheval, un étalon à la robe gris souris.
— Nous n’allons pas très loin, expliqua-t-il à Azilis qui l’avait rejoint. Nous monterons ensemble.
La pleine lune rendait une torche inutile. Math rouvrit le portail de bois qu’il fermait au coucher du soleil. Azilis surprit son regard interloqué mais ne s’en soucia pas. Ils partirent au galop vers le nord.
Elle se serra contre Myrddin pour ne pas tomber. Elle distinguait à peine la route. Très vite elle perdit tout repère. L’excitation lui nouait l’estomac, des idées folles défilaient dans son esprit.
« Calme-toi, se dit-elle. Apaise ton âme avant d’affronter l’Autre Monde. » Elle se concentra sur sa respiration pour chasser les pensées qui l’assaillaient. Quand Myrddin ralentit l’allure, elle avait retrouvé son calme mais n’avait aucune idée de la durée du trajet.
Elle entendit le grondement d’une cascade et ils débouchèrent soudain entre deux hautes falaises.
— Nous continuons à pied, déclara Myrddin en tirant sur les rênes.
Elle sauta à terre et leva les yeux, stupéfaite de découvrir qu’ils se trouvaient sur un chemin escarpé, tracé au fond d’une gorge entre deux parois si abruptes qu’il lui fallait renverser la tête pour en voir le sommet.
Un loup hurla au loin, bientôt suivi d’un autre. Azilis devina que Myrddin l’avait conduite jusqu’aux montagnes situées à environ treize milles[51] d’Ynis-Witrin. Elle n’y était jamais allée mais c’était là qu’Arturus avait poursuivi le loup géant à qui il devait son entorse. Était-ce son hurlement qu’elle venait d’entendre ?
Ce paysage différait singulièrement de tous les alentours, plats et marécageux. Partout la pierre affleurait sous la froide lumière de la lune. Des arbustes s’accrochaient aux flancs à pic. Des cailloux jonchaient le chemin et rendaient la progression difficile. Ils empruntèrent à pied un raidillon qui escaladait le flanc droit de la gorge.
Myrddin avançait d’un pas sûr, s’arrêtant uniquement pour l’aider à franchir un passage délicat ou pour écarter des branchages. Azilis s’interdisait la moindre question, décidée à se laisser guider par son maître spirituel.
Elle voulait lui accorder sa confiance, pleine et entière. Avec lui, elle avait affiné ses perceptions suprasensibles, et appris à imposer le silence à sa raison pour que s’expriment d’autres dons. Le désir qu’il éprouvait pour elle ne représentait plus une menace mais la source de connaissances immenses.
Il attacha son cheval aux branches basses d’un arbre rabougri, s’empara d’une besace accrochée à la selle, et ils entreprirent l’ascension d’un sentier de chèvres.
— Nous arrivons, lui promit Myrddin alors qu’elle trébuchait.
Il lui prit la main pour la guider. Enfin, il s’agenouilla pour dégager l’entrée d’une grotte derrière d’immenses fougères.
— Nous ne pourrons pas avancer debout, lui expliqua-t-il, ni tenir une torche. Mais tu n’as rien à craindre.
Ils s’engagèrent en rampant dans un étroit boyau. Malgré les paroles rassurantes de Myrddin, le ventre d’Azilis se noua, son cœur s’accéléra. Combien de temps allaient-ils avancer en aveugle le long de ce tunnel qui s’enfonçait dans la montagne ? Ne risquaient-ils pas de rencontrer un blaireau, un renard, voire un ours ? Ses mains s’égratignaient sur des pierres, des insectes fuyaient sous ses doigts. Et l’air semblait se raréfier.
Elle pensa rebrousser chemin, comprit dans un mouvement de panique qu’il lui était impossible de se retourner. Elle retint un cri…